Quand les stagiaires ont des idées innovantes…
Le stagiaire en formation a bien souvent l’occasion de participer à l’évolution de l’entreprise pour laquelle il travaille. Parler d’innovation c’est bien souvent parler de brevet et donc d’un droit de propriété intellectuelle sur l’invention. A ce titre, «l’ étudiant …
Le stagiaire en formation a bien souvent l’occasion de participer à l’évolution de l’entreprise pour laquelle il travaille. Parler d’innovation c’est bien souvent parler de brevet et donc d’un droit de propriété intellectuelle sur l’invention. A ce titre, «l’ étudiant stagiaire qui réalise une invention au cours d’un stage est titulaire des droits sur le brevet déposé» (Com. 25 avril 2006). C’est cette idée de propriété sur l’innovation qui a animé les débats juridiques entre la Société Générale et un ancien étudiant stagiaire.
En 2004, K. D. était stagiaire pour la Société Générale. Dans son mémoire, il proposait en détail son projet appelé Transcompte dont l’objectif était de simplifier les transferts d’argent vers les autres pays et les ouvertures de plusieurs comptes en France pour les étrangers. Il avait expliqué au Figaro que «Pour les étudiants qui font leurs études en France, cela leur permet de transférer et d’épargner de l’argent sur un autre compte dans leur pays d’origine». Il avait été alors été convoqué plusieurs fois par la Société Générale qui été très intéressée par son projet. Mais aucune négociation n’avait abouti.
Mais en 2007 c’est avec surprise que le jeune étudiant découvre que la banque a mis en place un système baptisé «Votre banque ici et là-bas» qui reprend le fonctionnement de son projet. K. D. qui avait été primé à la Chambre de commerce et de l’industrie et récompensé comme meilleur mémoire de l’ESC pour son originalité, décide alors de poursuivre la Société Générale. Cette dernière a d’ailleurs aussi reçu un prix, celui d’innovation, pour le lancement de ce nouveau produit bancaire. L’étudiant a alors poursuivi la Société Générale sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire s’estimant «victime de vol de propriété intellectuelle». En 2012, malheureusement pour l’étudiant, le tribunal de premier instance ne lui donne pas raison. Cependant, lors d’une décision rendue le 29 avril 2014, la Cour d’appel de Toulouse statue en faveur de l’étudiant et considère que la Société Générale a usurpé deux éléments innovants du projet de l’étudiant à savoir « la création d’un double compte, support indispensable à la phase épargne et investissement dans le pays d’origine » et « la création d’agences dédiées aux communautés étrangères avec du personnel de même origine » . Ainsi, la Cour d’Appel accorde à K. D. 80 000 euros de dommages et intérêts. La Société Générale a alors formé un pourvoi en cassation de la décision estimant qu’il n’y avait pas lieu de la condamner pour parasitisme et concurrence déloyale car «que les idées sont de libre parcours ; que nul ne peut se voir reprocher, au titre du parasitisme économique, la seule mise en pratique d’une idée générique de stratégie commerciale ou de service bancaire» et «que ne relève pas du parasitisme l’offre à la clientèle d’une banque de prestations ou produits qui relèvent des caractéristiques indispensables à la mise en œuvre d’un service commercial propre à toute activité bancaire et sur lequel nul ne peut revendiquer d’exclusivité ; que tout établissement bancaire doit pouvoir proposer à sa clientèle étrangère ou émigrée, des services ou prestations propres qui passent nécessairement par la création d’agences dédiées et la faculté de disposer d’un « double compte » dont l’arrêt lui même relève au demeurant qu’il est un « support indispensable à la phase épargne et investissement dans le pays d’origine.» (Cass com 31 mars 2015 , Pourvoi n° 14-12.391). La Cour de Cassation décide que les moyens de la Société Générale ne sont pas fondés et confirme ainsi la décision des juges en appel. La banque ne prouve pas en quoi l’idée litigieuse est une « simple idée générique de stratégie commerciale ou de service bancaire ».
Ainsi, le jeune étudiant stagiaire a pu faire reconnaître sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme l’utilisation de son innovation par son ancien employeur. C’est donc une décision qui vient compléter favorablement la jurisprudence sur la protection des innovations des stagiaires. Cette décision semble traduire la volonté des juges de protéger le stagiaire qui participe pleinement à l’évolution de l’entreprise mais dont l’investissement personnel n’a pas été gratifié. Ce qui permet à l’étudiant qui n’a « tiré aucun profit du produit de ses recherches dont l’intérêt économique était réel et qu’il ne pouvait plus valoriser » d’être dédommagé. Mais il faut faire attention à ne pas généraliser cette décision dans la mesure où, en l’espèce, l’étudiant proposait un service innovant au sens où il n’en existe aucun similaire proposé par une banque et la Société Générale avait par deux fois démontré son intérêt pour ce projet. La solution aurait été certainement différente si la forme du projet de l’étudiant n’était pas innovante car des services de «stratégies de proximité à destination de la clientèle immigrée» existent déjà.
Il convient cependant de rappeler que pour éviter tout litige de ce type, il est préférable pour l’employeur de prévoir contractuellement les conditions d’exploitation par l’entreprise des éventuelles créations des stagiaires, que ce soit par des clauses de cession des droits de propriété intellectuelle ou par des clauses de confidentialité.
Par Jessica Sababady, stagiaire
Cour de cassation, chambre commerciale, le 31 mars 2015 , Pourvoi n° 14-12.391