Interprétation de la Cour de cassation sur la notion de déséquilibre significatif entre professionnels
La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 est venue modifier de façon profonde le Code de commerce. L’article L. 442-6, I, 2° dispose qu’il est interdit « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des …
La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 est venue modifier de façon profonde le Code de commerce. L’article L. 442-6, I, 2° dispose qu’il est interdit « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Ainsi au visa de cet article, tout producteur, commerçant, industriel, ou personne immatriculée au répertoire des métiers, quel que soit le secteur de l’économie dans lequel il agit, est sanctionné au cas où il impose des clauses ou pratiques abusives. Il s’agit dans la pratique de l’hypothèse où un opérateur profite de son pouvoir lors des négociations pour imposer à son partenaire des obligations qui relèvent de ses propres devoirs et qui sont à son seul bénéfice. Cette disposition importante importe la conception du Code de la consommation dans le Code de commerce. En effet, l’article L. 442-6 I 2° étend la protection contre les clauses abusives aux cocontractants professionnels. Cette protection est déjà bien connue à l’égard des consommateurs ou non-professionnels au visa de l’article L. 132-1 du Code de la consommation qui dispose que « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.».
Mais ce n’est pas la seule raison pour laquelle l’article L. 442-6,I, 2° attire l’attention. En effet, cet article laisse entendre qu’un déséquilibre contractuel significatif n’est pas seulement celui qui est manifesté par une clause mais est aussi celui qui se traduit par une forme de déséquilibre économique de prestations contractuelles. Ce constat a créé beaucoup d’inquiétude au lendemain de la loi du 4 août 2008. Ainsi, le distributeur Darty a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité sur la conformité de cet article au regard du principe de légalité des délits et des peines, afin notamment de dénoncer le caractère approximatif du «déséquilibre significatif». Le Conseil constitutionnel décide le 3 juillet 2011 que la notion est conforme au principe de prévisibilité des délits et des peines du fait que «la définition des pratiques prohibées par l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce est suffisamment claire et précise dès lors que le législateur s’est référé à la notion juridique de « déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties » qui est une notion juridique déjà connue, puisque prévue à l’article L. 132-1 du code de la consommation et que cette notion a déjà fait l’objet de nombreuses précisions par la jurisprudence» (Cour de cassation – Chambre commerciale – 3 mars 2015 – n° 13-27.525).
Cette précision d’ordre constitutionnel apportée, il convient par la suite de s’intéresser à la jurisprudence de l’article L. 442-6, I, 2°. Ce n’est que très récemment, le 3 mars 2015, que la Cour de cassation est venue se prononcer sur les modalités d’appréciation des clauses qui créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. En l’espèce, il était reproché aux juges du fond de ne pas avoir appliqué la méthode de l’article L. 132-1 du code de la consommation qui consiste à prendre en considération tout le contrat ainsi que le contexte ayant présidé à sa conclusion pour apprécier le caractère de «déséquilibre significatif». Ils avaient en effet considéré que la seule présence des clauses litigieuses dans le contrat suffisait à établir un déséquilibre significatif sans chercher à prendre en considération les négociations. Une situation qui a pour effet de renverser la charge de la preuve auprès du cocontractant, qui est alors obligé de prouver l’absence de déséquilibre significatif réel. Les juges de la chambre de commerce de la Cour de Cassation décident à juste titre que la «caractérisation d’un déséquilibre significatif fondée sur l’article L442-6,I,2° du Code de commerce doit résulter d’une appréciation globale du contenu du contrat, des résultats de sa négociation et des modalités de son exécution.» (Nicolas Leblond, Appréciation du déséquilibre significatif entre professionnels: soyons concrets). La cour de cassation confirme ainsi les arrêts d’appel, lesquels sanctionnaient les distributeurs incriminés (Proverra- CA Paris, 20 novembre 2013 et Auchan) sur ce fondement. Les juges de la haute juridiction confirment donc le principe selon lequel s’impose une appréciation globale et concrète du contrat litigieux, sans qu’il soit nécessaire de vérifier les effets du déséquilibre. Ils affirment également, dans la logique d’une appréciation globale, que si la convention comporte des clauses favorisant les fournisseurs, les juges n’ont pas à retenir le déséquilibre significatif s’il est établi que les clauses se compensent.
A la lumière de cette récente décision, il est donc d’autant plus important de veiller au respect de l’équilibre des relations contractuelles qu’il s’agisse d’un contrat conclu avec un consommateur ou avec un professionnel.
Par Jessica Ababady
Cass. com. 5 mars 2015 n° 14-13062