Tentative de dépôt de marque « Les sans dent », un exemple d’une marque contraire à l’ordre public

Mais, que signifie exactement la notion d’ordre public en droit des marques ? Une brève illustration de quelques affaires originales pourrait nous éclairer.

L’article 711-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que « ne peut être adopté comme marque ou éléments de marque un signe : (…) b) contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, ou dont l’utilisation est légalement interdite (…) ».

Le 8 septembre 2014, Madame C a déposé une demande d’enregistrement de la marque verbale « LES SANS DENTS » pour désigner les produits des classes 16 (« produits de l’imprimerie ; … »), 28 (« jeux, jouets ; … »), 38 (« télécommunication ; … ») et 41 («éducation ;… »).

A sa grande surprise, l’INPI (Institut National de Propriété Industrielle) refusa cet enregistrement aux motifs que « le signe déposé apparaît contraire à l’ordre public en ce qu’il fait référence à des propos polémiques prêtés à Monsieur François Hollande, président de la République française ». Celle-ci interjette alors appel devant la Cour d’appel de Paris en soutenant, non sans audace, que l’expression « les sans dents » visée par sa marque peut revêtir plusieurs significations et désigner ainsi les nourrissons, ou des personnes dépourvues d’agressivité ou encore des personnes ne souriant jamais. Celle-ci ajoute que quand bien même sa marque serait en référence aux propos tenus par Valérie Trierweiler dans son livre Merci pour ce moment, elle a le droit de déposer ce signe au nom de la liberté d’expression et du droit à la satire reconnu par le Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Cette argumentation ne sera pas retenue par la Cour.

Les juges vont souligner le fait que le droit d’utiliser librement un terme en se prévalant de la liberté d’expression ne doit pas être confondu avec le fait de s’approprier un signe de façon privative par le dépôt d’une marque.

En outre, relevant que la marque a été déposée 4 jours après la parution dudit livre, la Cour d’appel considère que « le signe demandé à l’enregistrement ne pouvait être perçu autrement que comme une référence au propos dégradant prêté au chef de l’Etat ». Ainsi, la Cour juge que « le signe « LES SANS DENTS » dont Madame C poursuit l’enregistrement à titre de marque sera perçu, non point, selon sa fonction essentielle, comme un indicateur de l’origine des produits et services qu’elle désigne mais comme une incitation à contrevenir à des principes essentiels au bon fonctionnement de la société ou comme une offense pour une partie du public concerné ».

Cet arrêt illustre alors ce que recouvre la notion d’ordre public. Dans le même ordre d’idée, c’est aussi sur ce fondement que les termes « Je suis Charlie » furent refusés à titre de marque, aux motifs selon lesquels « ce slogan ne peut être capté par un acteur économique du fait de sa large utilisation par la communauté » et de sa référence à un événement douloureux.

Cependant, nous pourrions nous demander quelles sont précisément les limites de cette protection d’ordre public ? En effet, il apparaitrait qu’un autre slogan populaire passa entre les mailles du filet de l’INPI, à savoir le fameux et raffiné « casse toi pauvre con » proféré par notre ancien Président de la République française, Nicolas Sarkozy lors du salon de l’agriculture du 23 février 2008. Ainsi, pas moins de trois marques existent actuellement sous ce nom ! Pourtant M. Sarkozy exerçait bien la fonction de Président de la République à cette époque, et nous soulignerons qu’une des trois marques déposées date du 27 février 2008, soit 4 jours seulement après les faits !

Tout ceci est donc de nature à nous interroger sur la portée exacte et les limites de cette notion d’ordre public protégée par le code de la propriété intellectuelle…

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e chambre, 26 février 2016 PIBD 2016.

Par Eve Commercon, stagiaire

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Julie Gautier

Avocate collaboratrice

Inscrite au barreau de Marseille depuis 2021, Julie possède un Master 1 en droit des affaires, un Master 2 en droit de la propriété intellectuelle ainsi qu’un DJCE. Ses expériences au sein de Cabinets d’avocats et d’entreprises comme le Groupe M6 lui permettent de saisir les enjeux complexes de la propriété intellectuelle et d’accompagner les créateurs et entrepreneurs dans leurs besoins en la matière.

Egalement médiatrice, cette compétence enrichit sa pratique du droit pour faciliter le dialogue en cas de conflit et favoriser des solutions amiables et créatives.

Passionnée par la transmission, Julie intervient en tant que chargée d’enseignement au sein du Groupe Mediaschool où elle enseigne le droit du numérique. Elle accompagne aussi régulièrement les étudiants dans leur orientation professionnelle via la plateforme Myjobglasses pour partager son expérience.

En parallèle de son activité, Julie a été membre élue de la Commission du Jeune Barreau de Marseille de 2021 à 2024 et est membre de plusieurs associations, dont :

Julie adore l’artisanat et la culture provençale, et aime participer à la protection de ces domaines. Elle pratique également le yoga et la randonnée, des activités qui renforcent la concentration et la persévérance, des qualités essentielles pour exercer la profession d’avocat.

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